Comment vivre dans un climat changeant ? Stratégies d’adaptation des agriculteurs au Nord-Bénin

Développer des stratégies d’adaptation dans un contexte de changement climatique est une nécessité pour la survie des exploitations agricoles. Les effets du changement climatique, un phénomène qui concerne évidemment le monde entier, ne sont pas répartis uniformément. Au Bénin, où l’agriculture est presque entièrement pluviale sans aucune alternative d’irrigation, et constitue la principale source d’emplois et de revenus pour la majorité de la population, les conditions de production agricole se rendent de plus en plus difficiles en raison des variabilités climatiques.

Dans les systèmes traditionnellement plus intensifs, dans certaines zones au nord-Bénin, les agriculteurs parvenaient à réaliser deux récoltes par an. Désormais, du fait du raccourcissement de la saison des pluies et du retard d’implantation de la première culture, ils ne parviennent le plus souvent qu’à en faire une.

En plus, les défis socio-politiques comme la gouvernance et ceux socio-économiques tels que la pauvreté endémique, l’accès limité aux marchés des capitaux et aux marchés mondiaux d’écoulement des produits, la dégradation de l’écosystème, les catastrophes et conflits complexes ainsi que l’urbanisation, impliquent que la capacité des communautés à s’adapter aux changements climatiques est limité. La pandémie Covid-19 ne vient qu’extérioriser un certain nombre d’évènements conjoncturels et exacerbe davantage les conditions de vie des populations rurales déjà impactés par de nombreux maux endémiques.

Pourtant, même face à ces défis les producteurs développent des stratégies d’adaptation visant à réduire leur vulnérabilité ou à améliorer leur résilience face à des changements observés ou prévus au niveau du climat à travers de nouveaux systèmes de production. Améliorés et partagés entre les communautés, ces systèmes peuvent soutenir le développement de la sécurité alimentaire au Bénin. Les mesures d’adaptation comprennent la modification des pratiques culturales, dont le changement de variétés, voire d’espèces cultivées pour privilégier des cultures plus rustiques.

Les pratiques culturales évoluent également aussi bien sur le plan des dates de réalisation que des techniques employées (abandon du travail du sol dans certains cas par exemple). L’utilisation des moyens de production (travail, intrants) est raisonnée pour tenir compte des risques : cela se traduit dans certains cas par l’extensification ; ailleurs, il s’agit de la concentration des moyens sur des espaces « plus sûrs » (du point de vue de l’eau disponible notamment).

Une autre voie d’adaptation explorée par les producteurs est basée sur le développement de nouvelles activités agricoles pour tenter de répartir les risques et/ou de s’adapter aux nouvelles conditions de production : introduction de nouvelles spéculations, implantation de cultures vivrières par certains éleveurs, pratique de l’élevage par les agriculteurs, développement du maraîchage et du petit élevage puis transformation des produits.

Quid des techniques et stratégies d’adaptation mises en œuvre par les producteurs.

Au regard des expériences personnelles et des observations de terrain, il faut noter que la première adaptation spontanée des producteurs consiste à caler le calendrier cultural sur les conditions climatiques de l’année. En réalité, au nord-Benin, les dates de semis sont en général déterminées par le début des pluies. Si ce dernier est retardé, plusieurs réponses peuvent intervenir pour tenter de rattraper le retard de plus en plus fréquent des semis. La première réponse est d’abord la surcharge du travail (les semis sont répétés deux ou trois fois) avec une débauche d’énergie de la part des agriculteurs. Pour mobiliser de la main d’œuvre supplémentaire, il faut cependant disposer d’un réseau social efficace et de ressources financières et matérielles suffisantes. En effet, même quand on fait appel à l’entraide, il faut nourrir les travailleurs mobilisés et se rendre disponible pour les aider à leur tour.

Entre autres stratégies peut-on noter la diversification des activités génératrices de revenus en milieu rural. La mise en œuvre d’activités complémentaires, agricoles ou extra-agricoles, est un mécanisme exploité par les petits producteurs pour assurer la survie de leur famille. Diverses activités sont menées comme le développement du petit élevage ou de cultures maraîchères, la transformation agroalimentaire, l’artisanat, la prestation de services dans la production agricole et plus souvent le transport, comme taxi moto.

Des adaptations à plus petite échelle sont également observées au niveau des systèmes de production. Certains agriculteurs agissent sur l’abandon ou l’introduction, la diminution ou l’extension de certaines spéculations. Les espèces sensibles à la sécheresse laissent la place à d’autres qui sont plus rustiques. Les cultures à croissance lente et continue telles que les tubercules (manioc, igname) sont ainsi préférées aux cultures à stade critique telles que le maïs afin de limiter le risque de récolte nulle. L’impact de cette évolution est variable et pas toujours favorable en termes de résultats économiques ou écologiques.

Dans certains cas, les producteurs s’appuient sur des réseaux de connaissances, établissant des liens avec des agriculteurs d’autres régions pour collecter des variétés plus précoces. Certains producteurs vont chercher des variétés à quelques dizaines ou centaines de kilomètres dans des zones traditionnellement plus sèches, dont les variétés de mil, de sorgho, de maïs, de haricot et d’arachide dans les pays limitrophes comme le Burkina Faso et parfois au-delà. Ces réseaux d’échanges de connaissances constituent une force puissante pour l’adaptabilité locale, toutefois ces variétés sont fréquemment moins productives et/ou plus exigeantes en qualité du sol.

Les réseaux d’échanges entre les communautés traditionnellement migratrices contribuent également à l’adoption de nouvelles stratégies d’adaptation. Au nord-Bénin, les Peulhs, éleveurs originels, s’adonnent aussi à l’agriculture et exploitent quelques parcelles de cultures vivrières pour satisfaire aux besoins de leur famille. Ils disposent souvent de variétés précoces provenant des pays sahéliens comme le Niger et le Burkina Faso avec lesquels ils sont en contact. Ces variétés leur permettent de faire une association de culture de mil et de niébé. De même, les mouvements migratoires participent au partage d’expériences entre agriculteurs. C’est ainsi que certaines pratiques culturales comme les semis à plats (sans buttes ni billons) sont devenues une réalité.

Stratégies d’Adaptations moins durables.

Cependant, chez les Peulhs, le raccourcissement de la saison des pluies a fait changer cette pratique et désormais le mil et le niébé sont cultivés en parallèle sur des parcelles différentes ; ce qui a abouti à une extension importante des surfaces mises en culture au détriment des pâturages et surtout de l’entretien de la fertilité des sols. Cette tendance souligne que les stratégies d’adaptation adoptées sans tenir compte de la durabilité à long terme sont au mieux des solutions à court terme.

Par ailleurs, l’extensification est l’une des adaptations développées par les producteurs au nord-Bénin. En effet, les producteurs cherchent souvent à accroître les surfaces cultivées pour compenser la baisse des rendements due aux conditions climatiques actuelles. Cette stratégie suppose qu’il existe des espaces encore disponibles et qu’ils soient suffisamment fertiles. Or, une telle pratique a des conséquences souvent néfastes sur la fertilité à moyen terme. Ainsi, du fait de l’extension des surfaces cultivées, on observe partout une diminution de la réserve en terres cultivables.

Par ailleurs, les superficies des jachères, même de courte durée, se réduisent et sont de plus en plus concentrées sur des terres moins fertiles. Le raccourcissement de la jachère compromet la régénération de la fertilité des sols car la production de biomasse est limitée par le manque d’eau. Certains producteurs ont progressivement mis en culture des terres peu fertiles et y obtiennent des rendements médiocres.

Conclusion

En définitive, à l’instar des autres fléaux qui minent l’humanité, les changements climatiques demeurent l’une des menaces les plus graves qui pèsent sur le développement durable. Au Bénin, la question des changements climatiques est plus que d’actualité au regard de toute la mobilisation dont elle fait l’objet, comme élaboration du Plan National d’Adaptation, organisation d’un dialogue sous régional sur les changements climatiques, et création d’un comité national sur les changements climatiques.

La sécheresse, les inondations et les changements du régime pluviométrique sont les principaux risques auxquels le pays fait face. Ces différents phénomènes ont entrainé au cours des dernières décennies des pertes substantielles dans les secteurs de l’agriculture, de la santé, des ressources en eau, des infrastructures, de l’énergie et de la foresterie. Les producteurs agricoles, principaux affectés par ces variations, ne sont pas restés les bras croisés en subissant. Ils ont fait preuve de résilience et d’adaptation pour développer des pratiques culturales en vue de faire face aux variabilités climatiques tout en restant dans la droite ligne de contribuer à la sécurité alimentaire.

Il est de la responsabilité des autorités administratives, à divers niveaux, d’accompagner ces différentes initiatives innovantes, d’en faire des cas pratiques à expérimenter au sein de groupements organisés de producteurs et de partager les acquis à travers la mise à échelle de pratiques résilientes au changement climatique. Cela contribuerait à l’amélioration de la résilience des producteurs face au changement climatique en Afrique.

Ecrit par José Herbert Ahodode, Agronome socio-économiste, Youth In Soil, TMG Think tank.

Cet article, initialement publié sur Médium, fait partie de Covid-19 Food/Future, une initiative du projet SEWOH Lab du TMG ThinkTank for Sustainability (https://www.tmg-thinktank.com/sewoh-lab). Elle vise à fournir un aperçu unique et direct des impacts de la pandémie Covid-19 sur les systèmes alimentaires nationaux et locaux. Suivez également @CovidFoodFuture, nos journaux vidéo de Nairobi, et @TMG_think sur Twitter. Le financement de cette initiative est assuré par le BMZ, le Ministère Fédéral Allemand de la Coopération Économique et du Développement.

 

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